Le Journal ou Promenade berlinoise
Traduit de l’allemand par Irène Bonnaud
Extrait disponible dans la revue Théâtre / Public, décembre 2001.
Thomas Martin, né en RDA en 1963, a rencontré Heiner Müller alors qu'il travaillait au Deutsches Theater au moment de l'effondrement de l'Etat est-allemand. A la lecture de ses premiers textes, Müller l'a encouragé à se consacrer à l'écriture. Il écrit depuis des essais dans le journal Freitag, des poèmes, et des pièces de théâtre : par exemple Drapeaux noirs, une adaptation du roman de Strindberg, créée par Frank Castorf, le directeur de la Volksbühne de Berlin, en mars 1997 au Théâtre d'Etat de Stockholm.
La pièce Le Journal , créée il y a deux ans au BAT Studio-Theater de Berlin, fait partie d'une trilogie tournant autour de la propre biographie de l'auteur et de la disparition soudaine de son pays natal, la RDA.
Elle reprend et prolonge une forme proposée par Heiner Müller dans des textes comme La Route des Chars ou Paysage avec Argonautes. Müller considérait en effet que ses pièces devaient proposer des modèles de jeu ou d'écriture, un arsenal de formes nouvelles disponibles pour d'autres écrivains, et s'écarter de ce qu'il appelait la "dramaturgie ping-pong" et d'une forme dialoguée tournant désormais à vide et donnant au théâtre des airs de mauvaise télévision. La forme proposée ici, un texte en vers sans répartition de rôles, oscille entre deux formes originaires du théâtre européen, le monologue et le chœur.
Comme dans la tragédie grecque, la vie de l'individu n'est pas séparable des événements historiques que traverse la Cité : le récit le plus intime et biographique est lié de façon inextricable aux tremblements de terre de l'Histoire la plus collective.
Quand je l'ai trouvé, blanc-gris sur le banc du parc
Accessoire du temps ayant beaucoup servi
Peut-être comme nappe, autour, des traces encore
De la dernière Cène, celle-là aussi
A dû être digérée et éliminée
Peut-être un abri tout juste abandonné, habitants
Inconnus, comme partis sans laisser d'adresse
Non visibles, à proximité pourtant, des yeux
Des paires d'yeux dans mon dos, ici dans le parc
Entre la voie ferrée, le fleuve et l'avenue
Des vainqueurs, triangle que mon chemin foulait
En mesurant des sections d'or, la chaussure
Traçait sa piste dans le gravier, à chaque pas
Aspirant l'encre de flaques noires
Description d'une après-midi
Où
Au milieu de ma ville qui me regardait
Humain en imperméable tourner en rond
Un indigène après le tremblement de terre
Rôdant dans le panorama, reconnaissant son
Visage dans le vis-à-vis de la vitre
Chant d'automne d'une terre vaine, le feuillage
Des arbres tombé au sol, au bord du chemin, pigeons
Sans ailes, bientôt dévorés par la concurrence
Avec des dents, les vers viendront pour les restes
Quand je l'ai trouvé, blanc-gris sur le banc du parc
Quand je l'ai lu dans cette langue qui
Est la mienne aussi et ne l'est pas
Comme le collectionneur avec ses trouvailles,
A qui appartient l'objet perdu, je suis resté
Me suis assis avec précaution sur le banc
Vis des augures le sourire complice NOUVELLES
Révélations sur l'état des choses
Venues d'un monde qui m'était resté caché
Mon droit au refus épuisé depuis ce jour
Le journal était désormais plus que journal
Temps de demain, moi au contraire intempestif
Un objet du présent, une conscience qui
Se met elle-même en question, un couteau
Qui découpe la région en noir et en blanc
Ici mis en échec par du papier, d'épave
Etrange et inquiétant propriétaire, en visite seulement
Dans le parc, et ÇA comme jeté en appât
A celui qui ne se doutait de rien, salut de touristes
D'une plus haute étoile adressé à l'exemplaire
De l'espèce demeurée en arrière : à moi
Maintenant déjà marqué de la cicatrice du regard
Tant pis, je feuilletais les pages, je lisais…
Développé avec Berta